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 L'enregistrement magnétique, les studios : à la recherche de nouveaux potentiels sonores.

• John Cage et la recherche de nouveaux potentiels sonores

Juste avant la Seconde Guerre Mondiale, le potentiel des nouvelles technologies commence à être envisagé comme autre chose qu'un nouveau dispositif de l'orchestration conventionnelle. Jusqu'à lors, les instruments novateurs du début du siècle n'ont permis que la création de nouveaux timbres. Les manipulations du son sur disques avaient offerts de nouvelles possibilités, mais celles-ci demeuraient très limitées et techniquement trop compliquées. Avec l'avènement de la bande magnétique, on peut véritablement parler de naissance de la musique électronique, dès les années 40 et 50.

En 1951, John Cage découvre le I Ching (1) grâce à Daisetz Teitaro Suzuki, son maitre spirituel et apporte le hasard et l'indétermination préméditée dans la musique, autant dans l'acte de composition, d'interprétation que dans celui d'écoute. Dans la musique aléatoire, les sons à produire sont déterminés soit par les interprètes ( qui n'ont que des indications générales), soit par le hasard. Dans Imaginary Landscape 4, il fait fonctionner ensemble, 12 récepteurs radio, pour 2 exécutants. Le résultat est obtenu au hasard des réglages des fréquences de chaque radio, du volume et de la tonalité. Dans Imaginary Landscape 5, il utilise simultanément 42 disques de jazz.

L'indétermination est poussée à son paroxysme, dans 4'33", une œuvre pour "n'importe quel(s) instrument(s)" entièrement composée de silence, les seuls bruits audibles sont les rires du public, les feuilletages des programmes, les appareils d'air conditionné et tous les bruits ambiants.
Variations V - 1965 : John Cage avec David Tudor et Gordon Mumma - chorégraphie de Merce Cunningham (photo: Herve Gloaguen, Cunningham Dance Foundation)
L'exécution de la pièce silencieuse 4'33" a lieu au Maverik Hall de Woodstock en 1952 avec David Tudor au piano. Le jeu de Tudor met l'accent sur la rencontre entre musique et théâtre. Au cours du "bref" happening, David Tudor ouvre et ferme le couvercle du piano, au début et à la fin de chacun des trois mouvements selon la durée indiquée ! L'interprète n'improvise pas, il joue ce qui est écrit. Pour John Cage :" Composer, signifie seulement suggérer à l'interprète la possibilité objectivement réelle d'une action, c'est-à-dire ouvrir un espace de jeu". Cette oeuvre nous fait également prendre conscience que le silence, n'existe pas ou alors qu'il est "bruyant" : John Cage différencie les sons intentionnels de ceux qui naissent indépendamment de notre volonté. 4'33" met également en exergue l'importance de la notion d'espace puisque le public doit "écouter la salle" dans laquelle il se trouve. 4'33" n'est pas une négation de la musique, mais une affirmation de son omniprésence !

Toujours en 1952, John Cage exécute son "évenement sans titre" ou Theater Piece No. 1, le premier véritable Happening de l'histoire dans le réfectoire du Black Mountain College de Asheville en Caroline du Nord. Il répartis d'abord les sièges des spectateurs afin de former des triangles dont les pointes signalent le centre de la scène. John Cage prend place sur une échelle et débute la lecture d' une conférence, émaillée de silence plus ou moins longs, cette fragmentation étant établie grâce à des opérations du hasard. Sur une autre échelle Charles Olson et Mary Caroline Richards lisent en alternance, leurs poèmes. Merce Cunningham se met à danser sur la scène, rapidement rejoint par un chien. Robert Rauschenberg joue des disques sur un tourne-disque, et David Tudor du piano préparé. Des films sont projetés sur deux écrans et des diapositives défilent sur les toiles "monochromes" de Rauschenberg suspendues au plafond... Ce premier Happening préfigure la dimension transdisciplinaire de la création artistique et les performances multimédia des années 60.


De nouveaux champs vont alors s'ouvrir aux compositeurs et réellement bouleverser nos rapports aux sons. Les musiques issues de la révolution technologique du XXe siècle, peuvent désormais prendre leur véritable essor. John Cage est l'un des théoriciens les plus prolixes sur la "musique électronique", au côté d'Edgard Varèse, Leopold Stokowski, Henry Cowell, Joseph Schillinger (2) ou encore Carlos Chavez et Percy Grainger.

Tout commence en 1898 au Danemark, quand Valdemar Poulsen développe un procédé capable d'enregistrer le son sur un rouleau de fil en acier : le Telegraphon, mais ce n'est que beaucoup plus tard en 1934 que l'Allgemeine Elektrizitäts Gesellschaft (AEG) crée la première version d'un magnétophone avec enregistrement magnétique. Le Magnetophon K1 - AEG -1935support d'enregistrement est une bande plastique couverte d'oxyde magnétique de fer, cette technologie devient alors viable et le premier magnétophone à être produit de manière industrielle est le Magnetophon K1 en 1937. Cette invention offre la possibilité d'enregistrer la musique et de pouvoir l'écouter à tout moment, sans avoir besoin d'un orchestre pour la jouer. Le son peut être reproduit, il devient un objet que l'on peut isoler, analyser, inverser, couper, coller, assembler : la bande magnétique est perçue comme une série de petits fragments d'une partition. Le montage sonore donnera naissance à une myriade de genres musicaux inédits. L'utilisation des magnétophones facilite également l'utilisation des sons "non musicaux" et contribue à la remise en question de l'objet sonore. Cette approche n'est pas totalement nouvelle dans la création, mais la bande magnétique et la combinaison infinie des sons qui en résultent en simplifie grandement son application.

En effet, dès 1917, à Paris, Jean Cocteauconçoit aux côtés de Erik Satie (1866-1925) un ballet réaliste "Parade" utilisant une machine à écrire, une roue de loterie, un revolver, un "bouteillophone"...

Le 19 juin 1926, George Antheil (1900-1959), Américain exilé à Paris, va également faire sensation avec son "ballet mécanique" (musique du film de Fernand Léger, 1924) joué sur scène par 8 pianos, 8 xylophones, un pianola, 2 sonnettes électriques et une hélice d'avion.

Plus tôt dans le siècle, Luigi Russolo, Ferruccio Busoni, Edgard Varèse et bien d'autres ont développé des théories selon lesquelles la musique pouvait inclure tous les bruits.

John Cage : "Je crois que l'utilisation du bruit pour faire de la musique continuera et augmentera jusqu'à ce que nous atteignions une musique produite à l'aide d'instruments électroniques".


En 1938, il "invente" le piano préparé à l'occasion d'un ballet intitulé "Bacchanale" pour la danseuse Syvilla Fort. Manquant de placePiano préparé - John Cage pour installer un orchestre de percussions, il se remémore les expériences d'Henry Cowell qui vers 1925 produisait des sons dans la caisse de résonance du piano, notamment en pinçant les cordes "Il m'est donc venu l'idée de placer une vis à bois entre les cordes, ensuite des coussinets de calfeutrage, des petits boulons autour…". John Cage crée donc une forme d' orchestre de percussions en introduisant des objets divers entre les cordes de son "piano préparé". Par ce procédé, il entreprend des expériences sur les sons, et tente notamment de reproduire les neuf émotions permanentes de la tradition esthétique de l'Inde.

L'utilisation non conventionnelle du sacro-saint piano est une manière pour John Cage de dénoncer la pauvreté technologique des musiques occidentales. En 1937, dans "First construction (in métal)", en se limitant à l'utilisation de pièces métalliques (plaques de tôle, freins d'automobile et autres matériaux de récupération...), il tentera d'évoquer la musique balinaise. En 1939 dans sa composition "Imaginary landscape 1", il utilisera plusieurs tourne-disques : cette œuvre est considérée comme la première utilisation musicale de sons fixés sur un support et la première pièce de "musique électronique" : sur deux électrophones à vitesse variable sont placés des disques 78 tours contenant des sons sinusoïdaux de différentes fréquences, à ces éléments, s'ajoute le piano et le gong. La même année, dans "Speech Quartet", il utilise des meubles et des objets familiers : journaux, livres... John Cage prônera toute sa vie le refus de tout concept d'intentionnalité dans l'Art afin de préserver la notion de liberté. Il marquera de son empreinte l'évolution de l'art, de la danse et de la musique durant toute la seconde moitier du 20ème sciècle.


Comme Russolo et Varèse, John Cage est l'un des précurseurs de la musique concrète à venir et de l'appréhension empirique du son. L'ouverture de la musique sur des horizons sonores différents peut désormais prendre son essor, même si les "gardiens du temple" y voient à l'époque une forme de décadence de la musique. La révolution est un marche : en 1948, Pierre Schaeffer amorce l'émancipation artistique de la technique phonographique...




(1) I Ching : « Livre des mutations», recueil d'oracles de la Chine ancienne
(2) Joseph Schillinger : "The Schillinger System of Musical Composition" (1941), "The Mathematical Basis of the Arts" (1948)
(3) cette composition de La mOnte Young consistait en cette indication : "Ouvir le couvercle du clavier sans produire, au cours de l'opération, le moindre son audible pour l'exécutant. Faire autant d'essais que néscessaire".

 

 

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  s u g g e s t i o n s
  d ' é c o u t e


> John Cage
First Construction in Metal, 1937
Speech Quartet, 1939
Imaginary Landscape #1, 1939
Double music, 1941
Credo in US, 1942
Chess music, 1942
Imaginary Landscape #4,1942
Suite pour Toy piano, 1948
Imaginary Landscape #5, 1951-52
4'33", 1952
Williams Mix, 1952
Music of changes, 1954
Radio Music, 1956
Rozart Mix, 1965
Fontana Mix, 1958
Cartridge Music,1960
Variation II, 1961
Variation III, 1963
Variations IV, 1965
Etcetera, 1973

> Earle Brown
Calder Piece, 1951

> La Monte Young
Piano piece for David Tudor #2, 1960 (3)

> Erik Satie / Jean Cocteau
parade, 1917

> David Tudor
Rainforest Version I, 1968

> Erik Satie
Vexations, 1892-95
drame symphonique, 1918

> George Antheil
ballet mécanique, 1926


> Ottorino Respighi
Pini di Roma, 1924

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