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Les STUDIOS

• Du studio d'essai de la RTF au GRM : Solfège de l'objet sonore

Après la Seconde Guerre Mondiale, la production musicale des studios construits pour la radiodiffusion jouent un rôle colossal dans l'évolution de la musique occidentale.

Pierre Schaeffer et le Phonogène en 1952En 1948, Pierre Schaeffer (1910-1995) invente la "Musique concrète" dans le cadre de l'art radiophonique au Studio d'Essai à la RTF (Radio Télévision Française), grâce comme le dit la légende, aux trouvailles du sillon fermé et de la cloche coupée.

Ces deux expériences hasardeuses auront des répercussions énormes sur ses conceptions musicales. Le sillon fermé : Schaeffer découvre l'intérêt musical de la répétition, grâce au son généré par la rayure accidentelle d'un disque tournant à 78tours/minute emprisonnant une seconde de son. Après plusieurs répétitions, l'auditeur oublie la cause qui a engendré le son et écoute cet "objet sonore" pour lui-même. Ainsi décontextualisé, l'objet est réutilisable dans des situations différentes. La cloche coupée : il prélève par inadvertance un fragment du son produit par une cloche, après l'attaque (1), et le répète par la technique du sillon fermé, il modifie sa dynamique et remarque que le son obtenu s'apparente à celui d'une flûte ou d'un hautbois. Il constate alors un bouleversement des lois de l'acoustique, concernant le timbre. L'expression de "musique concrète" apparaît pour la première fois officiellement dans la revue "Polyphonie" en décembre 1949.

Pierre Schaeffer : "Ce parti pris de composition avec des éléments prélevés sur le donné sonore expérimental, je le nomme, par construction, Musique Concrète, pour bien marquer la dépendance où nous nous trouvons, non plus à l'égard d'abstractions sonores préconçues, mais bien des fragments sonores existant concrètement, et considérés comme des objets sonores définis et entiers".
"Le matériau de la musique concrète est le son, à l'état natif, tel que le fournit la nature, le fixent les machines, le transforment leurs manipulations"
(2).

La musique concrète repose sur un matériel sonore préexistant constitué de sons enregistrés devant un microphone : bruit ou son instrumental. Ils sont ensuite modifiés, manipulés, transformés, juxtaposés en studio. De "support mémoire" la bande magnétique devient "moyen de création". Pour mener à bien ses expériences, Pierre Schaeffer sera amené à créer lui-même ses propres outils, comme le Phonogène : appareil à bande magnétique réalisé et breveté en 1951. Cet appareil permet d'intervenir sur la vitesse de la bande ou transposition. Le Phonogène existe en deux versions, le Phonogène Chromatique (à clavier) et le Phonogène à coulisse.

Pierre Schaeffer au GRMEn 1951, le Centre d'Études Radiophoniques CER devient GRMC (Groupe de Recherche de Musique Concrète) pour mener à bien ses recherches sur la perception des "Objets sonores", puis en 1958, le GRMC deviend le GRM (Groupe de Recherches Musicales).

L'année 1951 est également celle de l'arrivée des tout premiers magnétophones en Europe. Pierre Schaeffer, ingénieur et musicien au Club d'essai de la Radio Télévision Française où il réalise des bruitages et ambiances divers, comprend très rapidement que la manipulation des sons et les éléments de prise de sons peuvent susciter un art nouveau. Il s'intéresse surtout à leur valeur sonore, dégagée de la cause ou de l'instrument qui les produit. "Etude au chemin de fer" (1948), composée à partir d'enregistrements de locomotives à vapeur, utilise en fait un tourne-disques et non un magnétophone, permettant le collage d'enregistrements, les variations de vitesse, l'effet rayures en continu et des enregistrements inversés. La musique concrète ne peut être réalisée qu'en studio, la composition devient un acte physique, portant sur des objets sonores concrets, elle offre aux musiciens un champ d'investigation nouveau, complètement indépendantdes règles traditionnelles de la musique occidentale.

Pierre Schaeffer : "J'invitais les compositeurs et les auditeurs à remettre en cause l'opposition primaire entre son et bruit en découvrant la musicalité potentielle de sons habituellement considérés comme bruits aussi bien qu'en repérant, dans le son prétendu pur, le bruitage implicite : grain du violon ou de la voix, présence dans une note de piano du choc répercuté sur la table d'harmonie, foisonnement complexe des cymbales etc. On fera bien de se souvenir qu'il ne s'agit pas d'imperfections regrettables : ces prétendues impuretés font partie même du donné musical". [+]

Pour comprendre le travail de Schaeffer, il faut prendre conscience de l'importance de la radio en 1948 : les programmes dramatiques, les romans d'aventure, la musique et les journaux d'information, sont tous radiophoniques.

Le 20 juin 1948 (3) à 21 H 00, cinq études de musique concrète, réalisées sur disques souples, sont diffusées sur la chaîne de Radio-Paris, lors d'un programme nommé "Concert de Bruits" : Etude "déconcertant" ou Etude aux tourniquets, Etude "imposée" ou Etude aux chemins de fer, Etude "concertante" ou Etude pour orchestre, Etude "composée" ou Etude au piano, Etude "pathétique" ou Etude aux casseroles. Suite aux réactions positives des auditeurs, Schaeffer reçoit l'appui de l'administration française pour créer un studio à la (RTF), avec l'aide d'un certain Pierre Henry et de Jacques Poullin.

La collaboration entre Schaeffer et Henry donne naissance à la fameuse : "Symphonie pour un homme seul"(4) (1950) qui est la première œuvre de musique concrète donnée en concert en France le 18 mars 1950. Le développement de cette musique à Paris est contemporain du sérialisme de Boulez et de Barraqué, mais les deux forces n'ont guère de contact. Après un bref passage au GRM, en 1952, Pierre Boulez déclare : "Je n'ai pas d'attirance pour le marché aux puces des sons". Il réalisera pourtant en 1955, une magnifique pièce électroacoustique "symphonie mécanique", pour le film éponyme de Jean Mitry.
Pierre Henry sur un ring de boxe pendant le "concert-couché" au Sigma III de Bordeaux le 16 novembre 1967
En 1958, Pierre Henry , l'autre grand artisan de la musique concrète aux côtés de Pierre Schaeffer quitte la RTF pour former son propre studio indépendant : APSOME. Dans son Studio privé de musique électroacoustique, il constitue une incroyable sonothèque recensant plus de 50 000 sons (sons de cordes de piano, sons de voix par laryngophone, sons de forme artificielle dits "ovale"...). Parmi ses travaux les plus intéressants, dont certains fortement imprégnés d'une atmosphère lyrique et tragique : "Voile d'Orphée" (1953), "Haut-Voltage" (1956), "Variations pour une porte et un soupir" (1963), "Apocalypse de Jean" (1968), "Futuristie" (hommage à Russsolo et Marinetti en 1975), "Dieu" (1977), sans oublier les jerks électroniques de "Messe pour le temps présent" en 1967 avec Michel Colombier destinés aux ballets de Maurice Béjart ! Vendu à 300 000 exemplaires, ce disque permet une intrusion de la musique concrète auprès du grand public, et une certaine sensibilisation. Pierre Henry composera également des pièces de musique concrète pour les films de Jean Grémillon et Jean Claude Sée.

En 1982, il crée le studio SON/RE sous l'égide du Ministère de la Culture. Pierre Henry demeure aujourd'hui encore un disciple très actif de la musique concrète et son plus fervent défenseur. Pierre Henry : "C'est la résurgence des sons enfouis depuis l'enfance qui seule permet la création. Je ne tiens pas à ce que ma musique soit analysée, je tiens à ce qu'elle soit reçus brute, comme elle est". "Le principe de la musique concrète est la variation. Une cellule se transforme en une autre cellule, puis interviennent les combinaisons, les associations, et les nombreuses possibilités de mélanges, de polyphonies (...) La "musique concrète" vient de la photographie, du cinéma"

François Bayle, Pierre Schaeffer et Bernard Parmegiani au GRMPierre Schaeffer quitte le GRM en 1966, peu après la sortie de son essai "Traité des objets musicaux" dans lequel il répertorie les sons de sa création selon leur morphologie. Il se consacre alors à l'audiovisuel et la communication à l'ORTF. François Bayle prend les commandes du GRM et y compose des œuvres d'une extrême richesse poétique : "L'oiseau chanteur", "Espaces inhabitables" ou encore "Jeïta ou le murmure des eaux". Ces années sont notamment liées au développement des tous nouveaux synthétiseurs.

Les studios du GRM comptent aujourd'hui plus de 1200 oeuvres à leur actif et voient passer plusieurs générations de compositeurs dont : Pierre Henry, François-Bernard Mâche, Philippe Carson, Jacques Lejeune, Denis Dufour, Jean Etienne Marie, Luc Ferrari et la musique anecdotique ("Hétérozygote" - 1964, "Presque rien n°1, le lever du jour au bord de la mer" - 1970 "Symphonie pour un paysage de printemps" - 1973), Ivo Malec, Guy Reibel, Bernard Parmegiani ("La table des matières" - 1979, "De Natura Sonorum" - 1975), Edgardo Canton, N'Guyen Van Tuong, François Bayle, Michel Chion, Gilles Racot, Francis Dohmont, Robert Cohen Solal (5), Allain Gaussin, Christian Zanési, Jean Schwarz, Philippe Mion...

La musique concrète, devient musique électro-acoustique et, de nos jours, musique acousmatique "musique des sons invisibles" selon l'expression de François Bayle : sa spécificité est d'avoir comme support unique la bande remplacée plus tard par l'ordinateur. La musique acousmatique est celle des hauts-parleurs, l'auditeur doit faire lui-même le travail de recomposition. [+]



(1) L'intensité du son se divise en quatre étapes successives: 1. l'attaque, 2. le decay (chute du son juste après l'attaque), 3. le sustain (maintien), 4. le release (extinction)
(2) Préface inaugurale de Serge Moreux - Premier concert de bruits, mars 1950
(3) à la même époque (1948) ont lieu les premières études sur bande de Louis & Bebe Barron aux Etats-Unis
(4) "symphonie pour un homme seul", seul dans le sens où un seul homme est au commande d'une multitude de sonorités, composant cette symphonie
(5) Robert Cohen-Solal connu notamment pour avoir créé la musique des "Shadoks" de J.Rouxel- La première série de 52 épisodes est diffusée sur l'ORTF (l'unique chaine de TV) en avril 1968
(6) première oeuvre du répertoire GRM, par ordinateur (Music V)

 

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  s u g g e s t i o n s
  d ' é c o u t e

> Pierre Schaeffer
La Coquille à Planète, 1942-44
Etude Pathétique, 1948
Etude aux chemins de Fer, 1948
Variations sur une flûte mexicaine, 1949
Etudes aux Sons Animés,1958-71

> Pierre Schaeffer / Pierre Henry
Symphonie pour un homme seul, 1950
Bidule en Ut, 1950
Orphée 51 ou toute la lyre, 1951

> Pierre Henry
Orphée 51, 1951
Orphée 53, 1953
Haut-voltage, 1956
Voyage, 1963
Variations pour une porte et un soupir, 1963
Messe pour le temps présent, 1967
Apocalypse de Jean, 1968
Mouvement, Rythme, Etude, 1970
Mise en musique du corticalart, 1971
Futuristie, 1975
Dieu, 1977

> François Bayle
L'oiseau-chanteur, 1963
L'expérience acoustique, 1964-72
Espacse inhabitables, 1967
Jeïta, 1970
La langue inconnue, 1972
Rosace 3, 1973
it, 1976
Eros bleu, 1979

> François-bernard Mâche
Lanterne magique, 1959
Prélude, 1959
Volumes, 1960

> Michel Chion
Requiem, 1973

> Ivo Malec
Reflets, 1961
Cantate pour elle, 1966
Triola ou symphonie pour moi-même, 1977

> André Boucourechliev

Texte II, 1959

> François Dhomont
Assemblage, 1972
Sous le regard d'un soleil noir, 1980

> Luc Ferrari
Étude aux sons tendus, 1958
Tête et queue du dragon, 1960
Toutologos, 1961
Hétérozygote, 1964
Visage, 1965
Musique promenade, 1964-69
Presque Rien No. 1, 1971
Et si tout entière maintenant, 1986-87
Chronopolis, 1982

> Bernard Parmegiani
Danse, 1962
Violostries, 1963
Capture éphèmère, 1964-68
L'oeil écoute, 1970
La roue Ferris, 1971
Pour en finir avec le pouvoir d'Orphée, 1972
De natura sonorum : Matières induites, 1975
Dedans-Dehors, 1976

> Michel Redolfi
Immersion, 1978
Pacific Tubular Waves, 1979

> Guy Reibel
Variations en étoile, 1966
Canon sur une trompe africaine, 1971
Franges du signe, 1974
Granulations-Sillages, 1974
Triptyque électro-acoustique, 1974

> Denis Dufour
Bocalises, 1966
Pli de perversion

> Jean-Claude Risset
Mutations, 1969

> Jacques Lejeune

Parages, 1973-74


• Autres musiques concrètes :

> John Cage
Williams Mix, 1952

> Vladimir Ussachevsky
Sonic Contours, 1952

> Iannis Xenakis
Diamorphoses, 1957

> Pierre Boulez
Symphonie Mécanique, 1955

> Luciano Berio
Thema (Ommagio a Joyce), 1958

> James Tenney
Collage #1, 1963
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