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Les
STUDIOS
Du studio d'essai de la RTF
au GRM : Solfège de l'objet sonore
Après
la Seconde Guerre Mondiale, la production musicale des
studios construits pour la radiodiffusion jouent un rôle
colossal dans l'évolution de la musique occidentale.
En
1948, Pierre Schaeffer (1910-1995) invente la "Musique
concrète" dans le cadre de l'art radiophonique
au Studio d'Essai à la RTF (Radio Télévision
Française), grâce comme le dit la légende,
aux trouvailles du sillon fermé et de la cloche
coupée.
Ces deux expériences hasardeuses auront des répercussions
énormes sur ses conceptions musicales. Le sillon
fermé : Schaeffer découvre l'intérêt
musical de la répétition, grâce au
son généré par la rayure accidentelle
d'un disque tournant à 78tours/minute emprisonnant
une seconde de son. Après plusieurs répétitions,
l'auditeur oublie la cause qui a engendré le son
et écoute cet "objet sonore" pour lui-même.
Ainsi décontextualisé, l'objet est réutilisable
dans des situations différentes. La cloche coupée
: il prélève par inadvertance un fragment
du son produit par une cloche, après l'attaque
(1), et le répète par la technique du sillon
fermé, il modifie sa dynamique et remarque que
le son obtenu s'apparente à celui d'une flûte
ou d'un hautbois. Il constate alors un bouleversement
des lois de l'acoustique, concernant le timbre. L'expression
de "musique concrète" apparaît
pour la première fois officiellement dans la revue
"Polyphonie" en décembre 1949.
Pierre Schaeffer : "Ce parti pris de
composition avec des éléments prélevés
sur le donné sonore expérimental, je le
nomme, par construction, Musique Concrète, pour
bien marquer la dépendance où nous nous
trouvons, non plus à l'égard d'abstractions
sonores préconçues, mais bien des fragments
sonores existant concrètement, et considérés
comme des objets sonores définis et entiers".
"Le matériau de la musique concrète
est le son, à l'état natif, tel que le fournit
la nature, le fixent les machines, le transforment leurs
manipulations" (2).
La musique concrète repose sur un matériel
sonore préexistant constitué de sons enregistrés
devant un microphone : bruit ou son instrumental. Ils
sont ensuite modifiés, manipulés, transformés,
juxtaposés en studio. De "support mémoire"
la bande magnétique devient "moyen de création".
Pour mener à bien ses expériences, Pierre
Schaeffer sera amené à créer lui-même
ses propres outils, comme le Phonogène :
appareil à bande magnétique réalisé
et breveté en 1951. Cet appareil permet d'intervenir
sur la vitesse de la bande ou transposition. Le Phonogène
existe en deux versions, le Phonogène Chromatique
(à clavier) et le Phonogène à coulisse.
En
1951, le Centre d'Études Radiophoniques CER
devient GRMC (Groupe de Recherche de Musique Concrète)
pour mener à bien ses recherches sur la perception
des "Objets sonores", puis en 1958, le GRMC
deviend le GRM (Groupe de Recherches Musicales).
L'année 1951 est également celle de l'arrivée
des tout premiers magnétophones en Europe. Pierre
Schaeffer, ingénieur et musicien au Club d'essai
de la Radio Télévision Française
où il réalise des bruitages et ambiances
divers, comprend très rapidement que la manipulation
des sons et les éléments de prise de sons
peuvent susciter un art nouveau. Il s'intéresse
surtout à leur valeur sonore, dégagée
de la cause ou de l'instrument qui les produit. "Etude
au chemin de fer" (1948), composée à
partir d'enregistrements de locomotives à vapeur,
utilise en fait un tourne-disques et non un magnétophone,
permettant le collage d'enregistrements, les variations
de vitesse, l'effet rayures en continu et des enregistrements
inversés. La musique concrète ne peut être
réalisée qu'en studio, la composition devient
un acte physique, portant sur des objets sonores concrets,
elle offre aux musiciens un champ d'investigation nouveau,
complètement indépendantdes règles
traditionnelles de la musique occidentale.
Pierre Schaeffer : "J'invitais les compositeurs
et les auditeurs à remettre en cause l'opposition
primaire entre son et bruit en découvrant la musicalité
potentielle de sons habituellement considérés
comme bruits aussi bien qu'en repérant, dans le
son prétendu pur, le bruitage implicite : grain
du violon ou de la voix, présence dans une note
de piano du choc répercuté sur la table
d'harmonie, foisonnement complexe des cymbales etc. On
fera bien de se souvenir qu'il ne s'agit pas d'imperfections
regrettables : ces prétendues impuretés
font partie même du donné musical".
[+]
Pour comprendre le travail de Schaeffer, il faut
prendre conscience de l'importance de la radio en 1948
: les programmes dramatiques, les romans d'aventure, la
musique et les journaux d'information, sont tous radiophoniques.
Le 20 juin 1948 (3) à 21 H 00, cinq études
de musique concrète, réalisées sur
disques souples, sont diffusées sur la chaîne
de Radio-Paris, lors d'un programme nommé "Concert
de Bruits" : Etude "déconcertant"
ou Etude aux tourniquets, Etude "imposée"
ou Etude aux chemins de fer, Etude "concertante"
ou Etude pour orchestre, Etude "composée"
ou Etude au piano, Etude "pathétique"
ou Etude aux casseroles. Suite aux réactions
positives des auditeurs, Schaeffer reçoit l'appui
de l'administration française pour créer
un studio à la (RTF), avec l'aide d'un certain
Pierre Henry et de Jacques Poullin.
La collaboration entre Schaeffer et Henry donne naissance
à la fameuse : "Symphonie pour un homme
seul"(4) (1950) qui est la première uvre
de musique concrète donnée en concert en
France le 18 mars 1950. Le développement de cette
musique à Paris est contemporain du sérialisme
de Boulez et de Barraqué, mais les
deux forces n'ont guère de contact. Après
un bref passage au GRM, en 1952, Pierre Boulez déclare
: "Je n'ai pas d'attirance pour le marché
aux puces des sons". Il réalisera pourtant
en 1955, une magnifique pièce électroacoustique
"symphonie mécanique", pour le
film éponyme de Jean Mitry.
En 1958, Pierre Henry , l'autre grand artisan de
la musique concrète aux côtés de Pierre
Schaeffer quitte la RTF pour former son propre studio
indépendant : APSOME. Dans son Studio privé
de musique électroacoustique, il constitue une
incroyable sonothèque recensant plus de 50 000
sons (sons de cordes de piano, sons de voix par laryngophone,
sons de forme artificielle dits "ovale"...).
Parmi ses travaux les plus intéressants, dont certains
fortement imprégnés d'une atmosphère
lyrique et tragique : "Voile d'Orphée"
(1953), "Haut-Voltage" (1956), "Variations
pour une porte et un soupir" (1963), "Apocalypse
de Jean" (1968), "Futuristie" (hommage
à Russsolo et Marinetti en 1975), "Dieu"
(1977), sans oublier les jerks électroniques de
"Messe pour le temps présent"
en 1967 avec Michel Colombier destinés aux
ballets de Maurice Béjart ! Vendu à
300 000 exemplaires, ce disque permet une intrusion de
la musique concrète auprès du grand public,
et une certaine sensibilisation. Pierre Henry composera
également des pièces de musique concrète
pour les films de Jean Grémillon et Jean Claude
Sée.
En 1982, il crée le studio SON/RE sous l'égide
du Ministère de la Culture. Pierre Henry demeure
aujourd'hui encore un disciple très actif de la
musique concrète et son plus fervent défenseur.
Pierre Henry : "C'est la résurgence des
sons enfouis depuis l'enfance qui seule permet la création.
Je ne tiens pas à ce que ma musique soit analysée,
je tiens à ce qu'elle soit reçus brute,
comme elle est". "Le principe de la musique
concrète est la variation. Une cellule se transforme
en une autre cellule, puis interviennent les combinaisons,
les associations, et les nombreuses possibilités
de mélanges, de polyphonies (...) La "musique
concrète" vient de la photographie, du cinéma"
Pierre
Schaeffer quitte le GRM en 1966, peu après la sortie
de son essai "Traité des objets musicaux"
dans lequel il répertorie les sons de sa création
selon leur morphologie. Il se consacre alors à
l'audiovisuel et la communication à l'ORTF. François
Bayle prend les commandes du GRM et y compose des
uvres d'une extrême richesse poétique
: "L'oiseau chanteur", "Espaces inhabitables"
ou encore "Jeïta ou le murmure des eaux".
Ces années sont notamment liées au développement
des tous nouveaux synthétiseurs.
Les studios du GRM comptent aujourd'hui plus de 1200 oeuvres
à leur actif et voient passer plusieurs générations
de compositeurs dont : Pierre Henry, François-Bernard
Mâche, Philippe Carson, Jacques Lejeune,
Denis Dufour, Jean Etienne Marie, Luc Ferrari et
la musique anecdotique ("Hétérozygote"
- 1964, "Presque rien n°1, le lever du jour au
bord de la mer" - 1970 "Symphonie pour un paysage
de printemps" - 1973), Ivo Malec, Guy Reibel,
Bernard Parmegiani ("La table des matières"
- 1979, "De Natura Sonorum" - 1975), Edgardo
Canton, N'Guyen Van Tuong, François Bayle,
Michel Chion, Gilles Racot, Francis Dohmont,
Robert Cohen Solal (5), Allain Gaussin, Christian
Zanési, Jean Schwarz, Philippe Mion...
La musique concrète, devient musique électro-acoustique
et, de nos jours, musique acousmatique "musique
des sons invisibles" selon l'expression de François
Bayle : sa spécificité est d'avoir comme
support unique la bande remplacée plus tard par
l'ordinateur. La musique acousmatique est celle des hauts-parleurs,
l'auditeur doit faire lui-même le travail de recomposition.
[+]
(1) L'intensité
du son se divise en quatre étapes successives:
1. l'attaque, 2. le decay (chute du son juste après
l'attaque), 3. le sustain (maintien), 4. le
release (extinction)
(2) Préface inaugurale de Serge Moreux - Premier
concert de bruits, mars 1950
(3) à la même époque (1948) ont lieu
les premières études sur bande de Louis
& Bebe Barron aux Etats-Unis
(4) "symphonie pour un homme seul", seul dans
le sens où un seul homme est au commande d'une
multitude de sonorités, composant cette symphonie
(5) Robert Cohen-Solal connu notamment pour avoir créé
la musique des "Shadoks" de J.Rouxel- La première
série de 52 épisodes est diffusée
sur l'ORTF (l'unique chaine de TV) en avril 1968
(6) première oeuvre du répertoire GRM, par
ordinateur (Music V)
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s u g g e s t i o n s
d ' é c o u t e
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> Pierre Schaeffer
La Coquille à Planète, 1942-44
Etude Pathétique, 1948
Etude aux chemins de Fer, 1948
Variations sur une flûte
mexicaine, 1949
Etudes aux Sons Animés,1958-71
> Pierre Schaeffer / Pierre Henry
Symphonie pour un homme seul,
1950
Bidule en Ut, 1950
Orphée 51 ou toute la lyre, 1951
>
Pierre Henry
Orphée 51, 1951
Orphée 53, 1953
Haut-voltage, 1956
Voyage, 1963
Variations pour une porte et un soupir, 1963
Messe pour le temps présent, 1967
Apocalypse de Jean, 1968
Mouvement, Rythme, Etude,
1970
Mise en musique du corticalart,
1971
Futuristie, 1975
Dieu, 1977
>
François Bayle
L'oiseau-chanteur, 1963
L'expérience acoustique, 1964-72
Espacse inhabitables, 1967
Jeïta, 1970
La langue inconnue, 1972
Rosace 3, 1973
it, 1976
Eros bleu, 1979
> François-bernard Mâche
Lanterne magique, 1959
Prélude, 1959
Volumes, 1960
>
Michel Chion
Requiem, 1973
> Ivo Malec
Reflets, 1961
Cantate pour elle, 1966
Triola ou symphonie pour moi-même, 1977
> André Boucourechliev
Texte II, 1959
>
François Dhomont
Assemblage, 1972
Sous le regard d'un soleil noir, 1980
>
Luc Ferrari
Étude aux sons tendus,
1958
Tête et queue du dragon, 1960
Toutologos, 1961
Hétérozygote, 1964
Visage, 1965
Musique promenade, 1964-69
Presque Rien No. 1, 1971
Et si tout entière maintenant, 1986-87
Chronopolis, 1982
>
Bernard Parmegiani
Danse, 1962
Violostries, 1963
Capture éphèmère, 1964-68
L'oeil écoute, 1970
La roue Ferris, 1971
Pour en finir avec le pouvoir d'Orphée, 1972
De natura sonorum : Matières induites, 1975
Dedans-Dehors, 1976
>
Michel Redolfi
Immersion, 1978
Pacific Tubular Waves, 1979
>
Guy Reibel
Variations en étoile, 1966
Canon sur une trompe africaine,
1971
Franges du signe, 1974
Granulations-Sillages, 1974
Triptyque électro-acoustique, 1974
> Denis Dufour
Bocalises, 1966
Pli de perversion
> Jean-Claude Risset
Mutations, 1969
> Jacques Lejeune
Parages, 1973-74
Autres musiques concrètes :
> John Cage
Williams Mix, 1952
> Vladimir
Ussachevsky
Sonic Contours, 1952
> Iannis Xenakis
Diamorphoses, 1957
> Pierre Boulez
Symphonie Mécanique, 1955
> Luciano Berio
Thema (Ommagio a Joyce), 1958
> James Tenney
Collage #1, 1963
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